Introduction

1 – La protection l’anonymat par la cryptographie, une volonté antérieure à la naissance des premiers crypto-actifs.

Lors de l’émergence du réseau Bitcoin en janvier 2009, la notion d’anonymat était l’une des valeurs portées par les personnes qui soutenaient le développement de ces moyens d’échanges numériques. L’exemple le plus parlant est le(s) créateur(s) du réseau Bitcoin, Satoshi Nakamoto, qui jusqu’à ce jour a su rester anonyme. 

Cette défense du droit à la vie privée sur les réseaux informatiques par le codage et les techniques cryptographiques n’est pas propre au réseau Bitcoin et aux autres crypto-actifs. Cette idée était déjà portée à la fin des années 1980 par le mouvement de pensée des Cypherpunks. Les principaux contributeurs à cette mouvance intellectuelle sont Eric Hughes auteur de Manifeste d’un cypherpunk (1993), Timothy C. May auteur de Manifeste d’un crypto anarchiste (1988) et The Cyphernomicon (1994) et John Gilmore.

Conscients des risques de nouvelles formes de surveillance et de censure à l’ère d’Internet, les Cypherpunks développaient une philosophie centrée sur l’importance de préserver son anonymat et de s’émanciper de tout tiers de confiance, qu’il soit public ou privé. 

2 – Les transactions en Bitcoin (et la plupart des autres crypto-actifs) ne sont pas anonymes, mais pseudonymes. 

À plusieurs égards, les transactions en bitcoins ne sont pas anonymes. En effet, pour effectuer une transaction, chaque détenteur de bitcoins utilise son adresse publique via son portefeuille de crypto-actifs. Si l’identité des détenteurs de bitcoins n’est pas expressément dévoilée (ni leurs données personnelles, ni leur adresse IP ne figurent dans la transaction), cette adresse – considérée comme un pseudonyme – permet à quiconque de consulter l’ensemble des transaction passée par le réseau. 

Si cette transparence est bénéfique dans plusieurs situations – cela offre notamment aux autorités répressives la possibilité d’établir le lien entre une infraction de blanchiment d’argent et/ou de financement du terrorisme avec l’identité de son auteur – elle n’offre pas un niveau de confidentialité suffisant pour garantir le droit à la vie privée des utilisateurs de crypto-actifs. 

Or, le droit à la vie privée est un droit naturel de l’Homme, inhérent au bloc de constitutionnalité et consacré à l’article 8 de la Convention Européenne des Droit de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH). 

“Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.”
Article 8 de la CEDH

L’arrivée progressive des crypto-actifs anonymes

Afin de pallier au manque de confidentialité des transactions en Bitcoin et eu égard la nécessité de préserver le droit à la vie privée des utilitateurs, certains crypto-actifs tels que Monero, ZCash, Dash permettent de renforcer l’anonymat des protagonistes d’une transaction en crypto-actifs. Il existe deux catégories de crypto-actifs anonymes avec un degré de confidentialité plus ou moins élevé : les privacy coins et les anonymity enhanced cryptocurrencies (AEC).

Il convient de préciser que d’autres outils tels que les services de mélange (décentralisés ou non), ou Coinjoin – une méthode développée par Gregory Maxwell et permettant de mélanger ses actifs pour son propre compte – garantissent la confidentialité des transactions en crypto-actifs. Cependant, les difficultés intrinsèques liées à l’utilisation de ces outils ont mené à l’émergence de crypto-actifs anonymes, d’abord avec Monero en 2014, puis avec ZCash en 2016. Ces deux crypto-actifs sont les crypto-actifs anonymes les plus connus au sein de l’écosystème. 

Les privacy coins 

Les privacy coins tels que Monero, assurent l’anonymat total de leurs utilisateurs. Monero (XMR) a été créé en 2014, il est le crypto-actif anonyme le plus connu de l’écosystème avec une capitalisation de marché de plus de six milliards d’euros en avril 2021. Monero permet d’anonymiser la valeur des transactions envoyées, notamment grâce à un système de signatures de cercle (ring signatures).  Le système de transaction en anneau permet de cacher le montant de Monero transféré. Puis, il permet de mélanger les clés publiques des utilisateurs afin de masquer l’adresse de l’expéditeur.

L’autre principal outil de confidentialité utilisé par Monero est le recours aux adresses furtives. Lorsqu’un utilisateur effectue une transaction vers une adresse publique, les fonds sont en réalité envoyés vers une adresse furtive générée automatiquement qu’aucun observateur indépendant ne peut voir. Cette adresse furtive est différente et unique pour chaque transaction. Ce mécanisme permet de masquer le destinataire de chaque transaction.

En raison du niveau d’anonymat que confèrent les privacy coins et des risques de BC-FT qui en découlent, certains États tels que la Corée du Sud ont pour ambition d’interdire totalement l’utilisation de ces actifs anonymes sur leur territoire avant la fin de l’année 2021

Les anonymity enhanced cryptocurrencies 

Les anonymity enhanced cryptocurrencies tels que ZCash confèrent un anonymat optionnel à leurs utilisateurs. 

A l’instar du réseau Bitcoin, ZCash propose un réseau pair à pair avec une offre maximale de 21 millions jetons. Cependant, ce qui distingue ces deux réseau est le niveau d’anonymat personnalisable qu’offre le protocole ZCash. Quand le Bitcoin est pseudonyme dans le dessein d’offrir un compromis entre la confidentialité et l’authentification des transaction, la blockchain ZCash permet de passer des transactions avec un niveau d’anonymat plus ou moins important : le réseau distingue ainsi les transactions privées (adresses Z) de celles qui sont transparentes (adresses T). Les adresses ZCash T et Z permettent d’effectuer quatre types de transactions avec un niveau de confidentialité plus ou moins élevé

Pour assurer ce niveau de confidentialité, Zcash utilise la méthode cryptographique appelée « zk-SNARKs » (zero-knowledge Succinct Non-Interactive Argument of Knowledge) qui permet de prouver la possession d’une clé privée, sans révéler cette information, et sans qu’aucune interaction entre les parties à la transaction ne soit nécessaire. 

Enfin, il convient de préciser que toutes les transaction passées sur ZCash restent interopérables, peu importe le niveau d’anonymat inscrit dans la transaction. 

Depuis 2017, la plupart des transactions passées sur le réseau ZCoin ne sont pas anonymes. En effet, les utilisateurs n’utilisent les opportunités offertes par l’anonymat des transactions ZCoin qu’à titre exceptionnel. Néanmoins, il convient de noter que l’année 2021 – notamment la fin d’année – a mené à une recrudescence des transations Z to Z, totalement anonymes. 

Crypto-actifs anonymes et LCB-FT : des risques incontestables 

D’une manière générale, les actifs numériques présentent – au même titre que les autres industries – des risques en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme qu’il est nécessaire d’encadrer et de mitiger. 

Ces risquent sont nécessairement accrus lorsqu’au moment de la transaction, s’insère une couche d’anonymat. De ce fait, les risques portés par les crypto-actifs anonymes – privacy coins et AEC – sont tangibles. 

Sur ce point, le Groupe d’Action FInancière (GAFI) a déjà pu rappeler dans son rapport Red Flags Indicators que les crypto-actifs anonymes présentent un risque important en matière de LCB-FT et nécessitent une attention particulière par les prestataires qui proposent des services sur ces types de jetons. 

Dans le même sens, le récent avis de l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) sur les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme affectant le secteur financier de l’Union européenne rappelait l’importance des risques soulevés pas les crypto-actifs anonymes en matière de LCB-FT. 

Ces prises de position ne sont pas anodines. En effet, même si peu de fonds sont blanchis dans le secteurs des actifs numériques, plusieurs affaires de blanchiment de capitaux dans le secteur ont concerné des crypto-actifs anonymes. 

Conclusion 

Eu égard le faible niveau de confidentialité que confèrent les crypto-actifs traditionnels tels que le bitcoin ou l’ether, les crypto-actifs anonymes tendent à garantir le droit à la vie privée des utilisateurs – un droit intrinsèque à l’Homme. En somme, l’utilité des crypto-actifs anonymes est manifeste : ils offrent la droit à un utilisateur de dévoiler – ou non – la destination de ses fonds et le montant de sa transaction aux autres utilisateurs du réseau. Les crypto-actifs anonymes sont de facto un important vecteur de liberté à l’ère du numérique, la liberté de dévoiler son patrimoine et ses interactions avec les autres utilisateurs d’un réseau blockchain

Cependant, cet anonymat est aussi synonyme de risques. Certains utilisateurs malintentionnés pourraient profiter du caractère opaque des transactions passées via ces actifs pour blanchir leurs fonds mal acquis, ou même pire, financer des opérations terroristes. Dans ce contexte, il convient nécessairement de favoriser les outils permettant de retracer les transactions suspectes passées via des crypto-actifs anonymes et de les encadrer. C’est ce que s’attèlent à faire les sociétés d’analyse transactionnelle telles que Chainalysis, Scorechain ou Elliptic.

Ces risques restent au demeurant à nuancer : le montant des fonds blanchis par le biais des crypto-actifs a été évalué à 1,9 milliards de dollars en 2020, ce qui ne représente qu’une infime partie des 3000 milliards de dollars de capitalisation du marché des crypto-actifs.