Le Groupe d’Action FInancière (GAFI) a émis le 21 juin 2019 des recommandations sur les actifs numériques à destination des états membres du groupe. Ces recommandations ont pour objet la mise en oeuvre de mesures visant à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La France, membre fondateur du GAFI, a vocation à transposer ces recommandations dans son droit national.

L’Adan souhaite accompagner les pouvoirs publics dans une mise en oeuvre efficace de ces recommandations. Nous présentons dans ce document les recommandations de l’association sur les modalités de cette transposition.

1. Les modalités de transposition des Recommandations constituent un enjeu de compétitivité et de souveraineté pour la France et l’Europe

Le secteur des actifs numériques est en fort développement et les entreprises les plus emblématiques de ce secteur naissant sont d’ores et déjà localisées en dehors d’Europe (Bakkt, Binance, Bitfinex, Bitmain, Bitmex, Block.One, Coinbase, Circle, Fidelity, Kraken…). Il existe à ce titre un fort enjeu de compétitivité pour développer des champions européens, attirer des acteurs étrangers et rattraper un retard d’ores et déjà significatif mais pas irrattrapable.

Un encadrement trop strict, qui viendrait empêcher ou freiner l’émergence de nouveaux acteurs en Europe en les rendant non compétitifs serait de nature à accentuer cet écart et à bloquer tout effort de développement d’une économie locale sur le secteur. Au regard de ces enjeux, il est essentiel que toute mesure additionnelle prise en France soit pensée pour permettre aux acteurs français et européens de se positionner à long terme comme un acteur majeur du marché des actifs numériques.

A noter qu’un encadrement fragmenté aurait le même effet de frein et l’on peut déjà regretter les disparités entre les législations des différents pays ayant transposé la 5ème Directive qui vont ralentir significativement le développement de géants européens. Il est crucial, dans le cadre de l’édiction des futures règles, que les Etats Membres appellent l’UE à légiférer de façon à ce que les régimes locaux soient uniformes. Il faudrait également se pencher très rapidement sur la nécessité de prévoir des licences “passeportables” (à l’image des licences sous MiFiD) permettant à un PSAN localisé dans un pays de l’UE d’ouvrir les services dans les autres pays sur la base de la licence obtenue dans le pays d’origine. 

2. Nous voyons très favorablement le développement de règles efficaces et unifiées de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme appliquées au secteur des actifs numériques

Les particularités du secteur des actifs numériques conduisent à recommander une approche spécifique et proportionnée. L’approche prise par le GAFI sur ce point est largement positive et répond à de nombreuses craintes formulées par les acteurs du secteur. 

Nous saluons en particulier la réaffirmation du principe selon lequel un système fonctionnant sans organe de contrôle (échanges décentralisés ou portefeuilles “non-custodian”) est exclu par nature des mesures de surveillance prévues par les Recommandations.

3. La France a d’ores et déjà pré-transposé la grande majorité des exigences du Groupe et fait figure de meilleure élève des pays membres

L’étude comparative réalisée par l’Adan montre que la France est à l’avant-garde et que, par l’adoption des dispositions spécifiques aux prestataires sur actifs numériques dans la loi PACTE, elle a anticipé l’essentiel des obligations : 48 des 50 mesures détaillées dans les recommandations sont ainsi totalement (38) ou partiellement (10) en vigueur.

Comparativement aux autres pays membres du GAFI également, la France est mieux disante. Une étude rapide des pays limitrophes à la France sur la mise en oeuvre de politiques LCB-FT permet d’établir l’état des lieux suivant :

4. Le régime français des PSAN vient tout juste d’entrer en vigueur (décret du 28 novembre 2019)

Il encadre de façon cohérente et proportionnée les acteurs. A ce titre, nous estimons qu’une modification substantielle de ce régime nuirait au message d’accompagnement du secteur porté par la France mais également à la clarté juridique que ce régime apporte aux acteurs. Toute mesure additionnelle devrait donc s’inscrire dans la continuité du travail effectué pour l’édification de ce régime.

5. Nous recommandons la plus grande prudence sur la transposition de deux Recommandations particulières : 

L’éventuelle extension de l’application des règles LCB-FT obligatoire à de nouveaux acteurs

Il est établi que l’essentiel des risques de blanchiment liés aux actifs numériques sont localisés au niveau des points d’entrée (“gatekeepers”) de la blockchain. Ceux-ci doivent donc être particulièrement contrôlés et les Recommandations ont vocation à leur être appliquées en intégralité. A contrario, les acteurs qui agissent directement sur les actifs numériques sans traiter avec des monnaies fiduciaires ne devraient pas supporter des obligations dirimantes à leur modèle économique alors que le résultat effectif de cet encadrement serait faible voir inexistant en matière de de LCB-FT.

La transposition de la “Travel Rule

La mise en oeuvre de cette recommandation, qui oblige les PSAN à collecter des informations sur des personnes à l’origine des transferts d’actifs numériques ou leurs bénéficiaires et de transmettre ces informations aux autres PSAN, est selon nous prématurée pour les raisons suivantes :

  • Sur le plan technique, tout d’abord, les solutions ne sont pas prêtes. La transmission d’information entre PSAN nécessite un canal de communication sécurisé, accessible et ouvert ainsi qu’un standard d’information – l’ensemble devant en outre respecter les principes de mise en oeuvre du GAFI, y compris la neutralité technologique et l’équité entre les différents acteurs. 

    Pour être effective, cette transmission d’information devrait donc être mise en oeuvre après l’établissement et l’audit indépendant de standards communs sur les éléments suivants : format des données, sécurité du canal d’information, contraintes liées à la transmission de données personnelles…

    En pratique, les solutions existantes ne remplissent pas ces exigences et ne sont donc pas satisfaisantes en l’état pour remplir les critères du GAFI.

    Au soutien de ce développement, notons que même dans les pays où cette Travel Rule a été transposée intégralement (Etats-Unis, Suisse), les PSAN ne l’appliquent pas pour des raisons de faisabilité technique.
  • Sur le plan de la sécurité des données ensuite, il nous paraît dangereux d’obliger les acteurs à transmettre automatiquement des informations très sensibles comme les noms, prénoms, date de naissance de possesseurs actifs numériques à des PSAN qui potentiellement ne seraient pas encadrés ou de façon beaucoup moins stricte qu’en France, ou encore établis dans des juridictions qui pourraient avoir un intérêt économique ou stratégique à exploiter ces données. 

    A minima, cette transmission automatique d’information ne devrait être mise en oeuvre qu’au profit d’établissements qui remplissent certains critères stricts – encore à définir.
  • Sur le plan de la compétitivité de la France et de l’Europe, enfin, il faut souligner à nouveau qu’une transposition immédiate de cette obligation aurait des conséquences importantes sur la compétitivité des entreprises qui y seraient soumises. 

En conclusion de ces éléments, nous recommandons un délai avant la mise en oeuvre de cette “Travel Rule”. A maxima, cette transposition ne devrait faire peser sur les entreprises qui devraient la mettre en oeuvre qu’une obligation de moyens, sans obligations de vérifications des données reçues, notamment concernant les bénéficiaires (voir les règles US FinCen qui appliquent ce principe) et en excluant clairement tous les transferts qui ne sont pas entre PSAN (transfert vers un “non-hosted wallet”).

6. Propositions de l’Adan pour la mise en oeuvre des recommandations
  • Conserver pour l’essentiel le régime actuel qui répond aux Recommandations du GAFI et, notamment, ne pas étendre le champ d’application de l’enregistrement obligatoire.
  • Réévaluer à une date ultérieure (en 2020 ou 2021) l’opportunité d’étendre les obligations pesant sur les acteurs.
  • Si néanmoins une décision de transposer rapidement la recommandation n°16 (“Travel Rule”) était prise, cette transposition devrait être effectuée en répondant aux craintes listées au point 5 et plus généralement sur une base de “best effort”.
  • Engager un dialogue avec les Directions Générales concernées à l’Union Européenne pour assurer que les mesures de transposition des recommandations du GAFI qui seront, selon toute probabilité, incluses dans la prochaine directive (ou règlement) AML soient cohérentes avec les positions prises par la France sur le sujet et vice versa.

L’ADAN se tient naturellement à la disposition des Pouvoirs Publics pour les accompagner plus avant sur cette problématique.