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DeFi : La France ne doit pas rater le futur de la finance
Le 18 mars, l’Adan organisait une conférence sur le thème de la finance décentralisée. Cet événement intervient dans le contexte des travaux en cours autour de la proposition de règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) qui inquiète le secteur crypto-blockchain et laisser planer le doute sur la compétitivité future de l’industrie européenne.
Les intervenants de la conférence étaient : Stanislas Barthélémi (Blockchain Partner by KPMG), Sébastien Couture (Directeur de la Communication de l’Adan et animateur du podcast Epicenter), Faustine Fleuret (Directrice Stratégie et Relations institutionnelles de l’Adan), Fabrice Heuvrard (Expert comptable, commissaire aux comptes et Co-fondateur de Token Strategy Advisor), Xavier Lavayssière (Chargé d’enseignement à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Fondateur de l’ECAN) et Simon Polrot (Président de l’Adan).
« La DeFI est une alternative au système bancaire qui repose sur les réseaux blockchain ouverts »
Stanislas Barthélémi explique que la DeFi – dite Finance Décentralisée – est un nouveau système financier reposant sur les réseaux blockchain ouverts.
Il rappelle notamment que l’internet de la valeur dans laquelle s’ancre la DeFi est une innovation fondée sur trois briques fondamentales : la rareté numérique avec les crypto-actifs, la programmabilité de ces actifs nativement numériques par le recours aux smart contracts, et la tokenisation d’actifs, c’est-à-dire la représentation par des crypto-actifs d’autres actifs tangibles ou intangibles.
Cette DeFi permet un accès ouvert à tout type d’acteur souhaitant interagir avec les différents applicatifs financiers.
Toutes les opérations sont rendues accessibles aux utilisateurs qu’ils soient particuliers ou institutionnels : qu’il s’agisse d’opérations simples comme l’ouverture d’un compte, l’investissement, le placement, ou les opérations complexes comme la création d’un produit financier ou les levées de fonds. Les opérations sont automatisables et accélèrent donc la célérité avec laquelle circule le capital dans cet écosystème.
De plus, chaque applicatif financier devient interopérable avec les autres, on parle de “legos” financiers qui peuvent être combinés pour créer des cas d’usage plus complexes.
Il constate par ailleurs une émergence de services financiers sur blockchains ouvertes et publiques, notamment Ethereum. Depuis quelques années, une panoplie de services et de produits a vu le jour comme les stablecoins, des crypto-actifs dont les cours sont automatiquement indexés sur un autre actif, les plateformes d’échange décentralisées (decentralized exchanges), des places de marché sans opérateur central, et les marchés décentralisés pour les fonctions de prêt et d’emprunt.
Le montant total bloqué dans les applicatifs de la DeFi a connu une croissance exponentielle depuis un an. De 1 milliard de dollars à l’été 2020, elle s’élève à 50 milliards de dollars aujourd’hui.
La DeFi en France : beaucoup d’intérêt mais une déperdition des talents
L’intérêt pour les technologies crypto-blockchain en France est bien établi et cela bien avant l’apparition de la DeFi. En effet au début des années 2010, plusieurs communautés étaient déjà présentes et quelques sociétés voyaient le jour. Mais le phénomène de la DeFi crée un nouveau mouvement qui prend une ampleur importante.
En effet, une communauté importante de passionnés est présente en France, notamment la communauté DeFi France qui recense plusieurs milliers d’adeptes et qui organise régulièrement des événements.
Cela se confirme lorsqu’on observe le nombre de projets DeFi d’ampleur internationale portés par des français – on compte plus d’une dizaine de sociétés du secteur dont les fondateurs sont français. On constate également que de nombreux français présents dans les équipes des plus importants projets DeFi de l’écosystème. On regrette cependant que peu de projets existent sur le territoire français, un symptôme du cadre réglementaire peu favorable au développement d’un écosystème concurrentiel.
« Beaucoup d’acteurs DeFi essayent de faire des DAO pour s’affranchir d’être dans un territoire et une réglementation ».
Xavier Lavayssière dresse ensuite le tableau contrasté d’une Europe qui affiche une volonté politique mais accuse le coup d’un retard sur le développement de son secteur des actifs numérique et DeFi. Bien que les opérations sur blockchain soient décentralisées, il existe néanmoins des enjeux stratégiques et politiques entre les nations.
L’avancée des États-Unis peut être observée sur plusieurs axes. Premier indicateur, la quasi-totalité des transactions en stablecoins sont libellées en dollars US, ce qui renforce son statut de monnaie de référence. On observe également un écosystème développé, avec des nouveaux acteurs bien financés et des entreprises fintech déjà établies qui proposent aujourd’hui de l’achat-vente de cryptomonnaies à leurs utilisateurs. Enfin, les autorités américaines fédérales et locales se sont rapidement saisies du sujet. Malgré la complexité du système américain et les divergences entre acteurs, on arrive aujourd’hui à une certaine maturité et un message clair encourageant et facilitant l’utilisation de crypto-actifs par les acteurs du secteur bancaire et financier.
Du côté utilisateurs d’actifs numériques et par extension des projets DeFi, on note la prépondérance des USA et de l’Asie. On note des foyers secondaires comme le Royaume-Uni qui possède une avance sur la France sur le sujet crypto. Les facteurs explicatifs combinent des aspects économiques, culturels et le parti pris de protection des consommateurs.
On remarque également un grand nombre de projets ambitieux portés par des Européens parmi lesquels des Français, mais dont les structures sont localisées à l’étranger. Une communauté francophone est pourtant bien présente depuis des années, d’abord avec Bitcoin et ensuite Ethereum et la DeFi.
Le développement des DAO (decentralized autonomous organisations) dans la DeFi offre en théorie la perspective de nouvelles formes de coopération économique, en partie affranchies d’un ancrage territorial et donc d’une réglementation applicable. En pratique, de nombreuses questions légales comme la responsabilité des fondateurs doivent être traitées. Trois approches semblent à l’étude : les accords avec les autorités comme en Suisse, la reconnaissance légale comme dans l’Etat du Wyoming où un projet de loi vise à reconnaître les DAO et l’approche contractualiste, en s’appuyant sur un droit des sociétés souple comme dans l’Etat du Delaware pour préserver les caractéristiques d’une DAO dans un cadre légal.
« Les GAFA de demain seront des services financiers »
Si les États et l’Europe ont une approche défensive face à la DeFi, les acteurs de l’écosystème ont bien compris que ce secteur représente l’avenir des services financiers pour les particuliers et institutionnels. C’est la position exprimée par Sébastien Couture.
La France et l’Europe doivent s’emparer du sujet de la DeFi pour éviter les erreurs du passé. Pour comprendre les enjeux, il suffit d’observer la position de l’Europe face aux GAFAs. Une position défensive que l’on interprète par l’absence de champions européens comme ils existent ailleurs, notamment aux Etats-Unis.
Les GAFAs de demain seront les services financiers retail et institutionnels, dominés par des acteurs et des plateformes on-chain ou qui s’appuient sur des blockchains ouvertes. Comme on l’observe chez les GAFA, ils agrègeront des millions d’utilisateurs en plus des centaines de millions de transactions par jour et des centaines de trillions de dollars en volume chaque année.
Pour cette raison, la France, soutenue par l’Europe, doit soutenir l’émergence de champions européens. De nombreuses pistes de développement s’offrents aux Etats : la levée des barrières administratives et la simplification des démarches, l’investissement dans la recherche, l’adoption de technologies blockchain ouvertes au sein des États et la promotion de l’investissement en soutenant une réglementation nationale et européenne qui permet au secteur de se développer et se démarquer à l’échelle internationale.
La France et les pays européens ont des infrastructures publiques puissantes et solides qui peuvent et devraient être mises au service du développement d’une industrie compétitive.
« J’attends de l’Etat qu’il nous donne toutes les armes pour qu’on puisse créer des champions de la DeFi en France »
Fabrice Heuvrard regrette qu’il existe très peu de textes comptables sur les crypto-actifs. Dans ce domaine où la concurrence est mondiale, il existe un vide qui rend complexe l’opérationnel comptable des entreprises.
Sur le plan fiscal et comptable, de nombreux sujets ne sont pas traités par les textes, à titre d’exemple : le yield farming, le traitement des opérations inférieures à 0,01 centime, les frais de transaction (gas), la notion d’impairment loss en ce qui concerne les pools de liquidités, les airdrops, le minage et le staking, le traitement des jetons non-fongibles (NFT) et bien d’autres sujets.
Les entreprises du secteur attendent de l’administration qu’elle donne les armes aux entrepreneurs pour être compétitifs sur le plan international.
En guise de conclusion, nous pouvons alors nous poser une question : comment favoriser l’essor de la DeFi en France ?
Simon Polrot répond à cette question en deux temps. À court terme, il préconise de lutter contre le retard de l’industrie en levant les obstacles existants. Il est capital de rattraper le retard sur les briques fondamentales (CeFi, rampes d’accès, etc) au même titre qu’il est important que l’Europe ait ses acteurs forts et compétitifs sur leurs territoires. Aussi, les administrations doivent soutenir les acteurs européens et des politiques de financements adaptées doivent être mises en place. Enfin, il est primordial de développer la compréhension du fonctionnement et des opportunités que permettent les actifs numériques.
À long terme, il est absolument essentiel de mobiliser les pouvoirs publics et l’industrie financière et de traiter la DeFi au niveau réglementaire européen. La fragmentation des écosystèmes en Europe s’avère trop dommageable au développement du marché commun.