Le 16 mai 2018, Alex de Vries publie un article: Bitcoin’s Growing Energy Problem dans lequel il tente de calculer la consommation énergétique provenant du minage du Bitcoin. Sa comparaison de consommation entre le réseau Bitcoin et celle de l’Irlande devient une référence commune pour décrier l’appétit gargantuesque des blockchains pour les gigawatts.

Calculer l’empreinte écologique des blockchains est un exercice compliqué qui nécessite de prendre en compte de nombreuses variables, certaines desquelles souffrent d’un manque d’informations fiables. Quelle est la consommation d’électricité liée à l’activité des blockchains ? D’où provient l’électricité consommée ? D’énergies fossiles ou d’énergies renouvelables ? Parmi ces différents facteurs écologiques, identifier l’origine de l’électricité consommée par Bitcoin est un enjeu central. En effet, une consommation d’électricité produite au charbon entraîne une empreinte carbone plus de 170 fois supérieure à celle provenant de production hydraulique.

Au delà de ces facteurs pour lesquels il n’existe, aujourd’hui, pas d’informations précises, il faudrait ajouter au calcul les effets de second ordre découlant de cette consommation, telle que l’énergie dépensée pour refroidir les centres de minage, ou la pollution des déchets technologiques ainsi que l’extraction de métaux rares.

Cette consommation devrait ensuite être comparée à ce qui est comparable : celle des systèmes traditionnels de transfert et de stockage de valeur (ex : le réseau bancaire) et de création de valeur (ex : extraction d’or).

Ce document n’a pas pour objectif de proposer une quantification de la consommation énergétique des blockchains; Bitcoin cité en guise d’introduction, dévoile les obstacles rencontrés par ce type de calcul. On analysera ici les différents impacts des blockchains sur l’écologie de par son fonctionnement et les cas d’usage que ces technologies permettent de développer aux bénéfices d’autres secteurs industriels pour réduire leur empreinte écologique.

Le fonctionnement des blockchains : une empreinte écologique fonction du protocole de consensus

Toute blockchain publique requiert, afin de fonctionner, un procédé de consensus, pour valider les différents blocs. Le consensus peut s’effectuer de différentes façons et c’est un de ces procédés, le Proof-of-Work (PoW) ou preuve de travail, qui est pointé du doigt comme étant le principal consommateur d’énergie des blockchains. Il existe d’autres mécanismes, parmi lesquels les plus importants sont le Proof-of-Stake (PoS) ou preuve d’enjeu et le Delegated-Proof-of-Stake (dPoS) ou preuve d’enjeu déléguée. Ces trois protocoles couvrent plus des trois-quarts de l’activité globale des blockchains. En effet, Ethereum (PoW, implémente progressivement le PoS) et Bitcoin (PoW), représentent 77% de la capitalisation globale des crypto-actifs tandis qu’EOS (dPoS) et Tezos (dPoS) représentent 75% du nombre global de transactions dans les blockchains

Le Proof-of-Work ou Preuve de travail

Historiquement et par son utilisation, le PoW est le premier protocole de consensus. C’est également le protocole le plus énergivore. La consommation d’électricité et le coût qu’elle engendre ne sont pas une conséquence inattendue de l’utilisation de ce protocole, mais figurent dès la genèse de la preuve de travail. Ce coût joue le rôle de gardien de l’honnêteté des mineurs et ainsi l’intégrité de la blockchain car les bénéfices potentiels d’une validation malhonnête sont contrecarrés par le coût électrique que cette action exigerait. En effet, les mineurs contribuent de par la puissance de calcul de leur matériel informatique. Actuellement, de plus en plus de mineurs se rassemblent et forment des fermes de minage, concentrant ainsi une grande puissance de calcul, une grande consommation électrique, et de facto, un fort coût financier.

Les études de consommation d’électricité sont focalisées sur Bitcoin, et ne s’intéressent pas aux autres blockchains, telles que Ethereum, fonctionnant sur ce même protocole. Si leurs chiffres sur la consommation globale de la blockchain sont imprécis, ils offrent néanmoins un ordre de grandeur de la consommation globale, 88,96 tWh en 2020 selon le CBECI par exemple, et révèlent la nécessité d’y pallier.

Le Proof-of-Stake ou Preuve d’enjeu

Il n’y a pas encore d’études quantitatives explorant la consommation électrique globale d’une blockchain fonctionnant avec la preuve d’enjeu. Néanmoins, son fonctionnement diffère très largement de la preuve de travail, et permet d’expliquer une consommation d’électricité qui lui est nettement inférieure. En effet, les validateurs du réseau engagent du patrimoine : leurs actifs numériques, et sont sélectionnés de façon aléatoire pour valider les blocs. Il n’y a plus de notion de course à la vitesse de calcul, et plus d’inquiétude de consommation démesurée d’électricité. La preuve d’enjeu peut être considérée comme une solution contre l’empreinte écologique des blockchains, mais son adoption comporte d’autres enjeux. 

Le Delegated Proof-of-Stake ou Preuve d’enjeu déléguée

Similaire à la preuve d’enjeu, elle ajoute une couche dans le processus de validation. Les participants qui gagent leurs actifs vont ensuite voter et élire des délégués chargés d’obtenir un consensus. Si l’emploi de ce protocole soulève d’autres questions, notamment concernant la sécurité, il présente également une solution plus écologique pour le fonctionnement des blockchains.

Du point de vue de l’empreinte écologique des blockchains, celles fonctionnant au moyen du PoW sont bien plus énergivores que les technologies fondées sur le PoS ou le dPoS.

Perspectives environnementales 

La preuve d’enjeu et la preuve d’enjeu déléguée vont-elles permettre de réduire l’empreinte écologique de la blockchain ? Même si à première vue ces solutions semblent prometteuses, il n’est pas aisé de faire basculer une blockchain d’un protocole de consensus vers un autre. Ethereum en est la preuve, son passage du protocole de preuve de travail à celui de preuve d’enjeu est un travail de longue haleine, qui devrait voir le jour en 2022 après avoir lancé la première phase en décembre 2020, fruit de recherches de plusieurs années. Pour les blockchains, telles Bitcoin, d’autres solutions sont envisageables et envisagées pour réduire l’impact écologique de leur fonctionnement. 

Vers plus d’énergie verte : l’opportunité nouvelle de l’arbitrage géographique

L’alignement des besoins entre producteurs d’énergie verte et mineurs est une opportunité rare pour réduire l’empreinte carbone de ces derniers. Les producteurs ont des frais de constructions de centrales à amortir, et subissent une perte d’énergie lorsque leur capacité de production est supérieure à la demande de leur réseau ou lorsqu’il y a une importante différence entre la demande d’électricité le jour et la nuit. Une solution pour réduire leur coût est donc d’assurer la vente d’électricité produite à des tiers partis. Les mineurs quant à eux recherchent l’électricité la moins onéreuse et ont la faculté de s’implanter n’importe où sur le globe. 

En 2020, 76% des mineurs intègrent de l’énergie verte dans leur mix énergétique ; estimation basée sur les mix des pays dans lesquels ils se situent. Cela représente 39% de renouvelable en consommation finale, une moyenne supérieure à la moyenne de consommation mondiale. Ces chiffres s’expliquent par la possibilité inédite des mineurs d’opérer un arbitrage géographique c’est-à-dire de s’implanter n’importe où et donc proche d’une source de production d’énergie peu onéreuse. Ils migrent progressivement vers des espaces ou l’énergie verte est en surproduction et leur assure des prix bas : l’Islande, la Scandinavie, le Caucase, le Nord-Ouest du Pacifique, l’Est du Canada et le Sud-Ouest de la Chine. 

Un exemple plus récent montre également les possibilités qu’offrent les fermes de minage dans l’amortissement des coûts de construction et d’opération de centrales hydroélectriques dont l’offre est encore nettement supérieure à la demande. Si l’objectif premier est d’ordre économique, l’impact environnemental n’en sera pas moindre : le déploiement de l’électrification pour les 520 millions de personnes en Afrique Subsaharienne qui n’ont pas d’accès à l’électricité. Depuis 2017, le Virunga, RDC, s’équipe de centrales hydroélectriques qui permettront, à terme, de subvenir aux besoins de la région et de lutter contre la déforestation du Virunga (deuxième parc forestier mondial après l’Amazonie). Ces centrales sont aujourd’hui en surcapacité de production due au peu de développement économique de la région. BigBlock Data Center, une société de minage, a installé une ferme s’approvisionnant dans les centrales hydroélectriques, permettant à celles-ci d’amortir une partie de leurs frais.  

L’énergie verte, si elle ne diminue pas la quantité d’électricité consommée par les blockchains PoW, permet de diminuer leur empreinte carbone. La production électrique hydraulique produit 6 grammes de CO2 par kWh, tandis que le charbon en produit 1060, le fioul 730, et le gaz 418. La blockchain s’offre ici la possibilité de résoudre une partie de son défi écologique en se positionnant parmi les industries les plus vertes et en ayant un impact positif sur le développement d’énergies renouvelables. 

Vers plus d’énergie verte : une responsabilisation croissante de l’industrie

L’industrie des crypto-actifs est de plus en plus sensibilisée et engagée afin de réduire l’impact écologique des applications développées et services proposés grâce aux technologies blockchains. La frénésie de ce début d’année autour des non-fungible tokens (NFT) a revigoré ce débat, et explique en partie l’accélération du calendrier de migration intégrale d’Ethereum vers le PoS, prévue désormais pour le mois d’octobre 2021. Également, début avril, le Crypto Climate Accord a vu le jour. Portée par Energy Web, l’Alliance for Innovative Regulation et RMI, et soutenue par plus d’une vingtaine de sponsors (parmi lesquels des acteurs traditionnels comme Engie et EDF via sa filiale Exaion), cette initiative privée promeut la décarbonation urgente de l’industrie des crypto-actifs et propose à cette fin trois objectifs (possiblement ajustables) : permettre à toutes les blockchains de fonctionner grâce à un mix énergétique composé exclusivement d’énergies renouvelables d’ici 2025, mesurer les émissions de CO2 de l’industrie en développant un standard comptable open source, et atteindre d’ici 2040 un total net nul de ces émissions. Ce dernier axe semble faire écho à certains engagements pris par de grandes entreprises (par exemple Amazon), et ainsi anticipé des injonctions symétriques. 

Ces différents signaux témoignent de la prise de conscience grandissante que les enjeux environnementaux n’épargnent pas le secteur.   

Il est possible de réduire l’impact écologique du fonctionnement des blockchains : les mineurs peuvent jouer sur l’opportunité d’arbitrage géographique leur permettant de choisir leurs sources d’énergie, et différents protocoles sont intrinsèquement moins énergivores. Plusieurs signaux montrent également que des acteurs de l’industrie s’emparent progressivement, mais avec ambition, du sujet. 

Conclusion

Force est de constater que la plupart des technologies blockchains ont actuellement un coût écologique élevé. Comme établi, cela est principalement dû au protocole de PoW, qui n’est pas utilisé par toutes les blockchains et dont certaines tendent à s’en écarter. De plus, ce protocole de PoW peut également servir de levier pour augmenter la production d’énergie verte.

Dans ses applications, cette technologie présente des opportunités de réduction d’empreinte carbone, de réduction de déchets, ou encore de décentralisation d’apport d’énergie. Scientia potentia est : la traçabilité, avantage inhérent à la blockchain, permet également d’augmenter le pouvoir du citoyen d’exiger des moyens de production plus responsables. Finalement, la blockchain, comme toute technologie, est un outil dont l’usage dépend des volontés de ceux qui l’utilisent. Aujourd’hui on observe l’émergence de projets se concentrant sur l’écologie et l’environnement

Cet article a été rédigé par Bettina Boon Falleur