Introduction

Ce document a pour vocation à informer toute personne intéressée sur les évolutions et défis posés par les activités d’échange entre actifs numériques – sans utilisation d’une monnaie ayant cours légal – dites « activités crypto-crypto ». Il dresse un panorama de ces activités, des risques qui y sont associés et des mesures prises par les acteurs français (cf. §2). 

Pour la réalisation de ce document, l’ADAN a réalisé entre janvier 2020 et mars 2020 une consultation publique ayant permis de collecter 25 réponses. Le contenu du présent rapport est notamment nourri des contributions apportées par les acteurs dans le cadre de cette consultation. Certaines prises de position claires se sont dégagées des réponses reçues, lesquelles sont détaillées ci-après (cf. §3).

En substance, il en ressort que :

  • Les risques posés par les activités entre actifs numériques, notamment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT), sont perçus comme plus faibles que les risques afférents aux activités d’échange entre actifs numériques et monnaie à cours légal.
  • Les activités dites « crypto-crypto » sont très diversifiées car ces actifs peuvent avoir des usages extrêmement variés. L’encadrement de ce secteur doit tenir compte de cette forte granularité des activités.
  • Il apparaît ainsi nécessaire d’engager une réflexion globale sur les modalités d’encadrement des acteurs crypto-crypto, et ceci d’autant plus dans le contexte issu de la combinaison des constats suivants :  
    • une tendance générale anticipée vers une décentralisation significative à moyen et long terme,
    • l’existence de services permettant la préservation de la vie privée et du secret des affaires dans le cadre des transactions en actifs numériques, 
    • la présence de spécificités fortes propres à certains actifs numériques (exemples : actifs non fongibles, actifs utilisés comme moyen de paiement, etc.).

En tout état de cause, tout encadrement qui serait imposé à des acteurs opérant exclusivement avec des actifs numériques devrait suivre un strict principe de proportionnalité et correspondre à de réels risques, qu’ils soient métiers, liés à la protection des consommateurs ou au blanchiment d’argent ou au financement du terrorisme. L’enregistrement obligatoire aujourd’hui prévu par le régime des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) ne remplit pas ces critères de proportionnalité.

L’ADAN reste à la disposition de toutes personnes intéressées pour clarifier ou détailler certains points de ce rapport.

Contexte

Ce document constitue un état des lieux partiel des activités dites « crypto-crypto » en France. Compte tenu du mode de collecte d’information ayant conduit à sa rédaction (consultation publique ayant conduit à 25 réponses), il ne saurait prétendre à l’exhaustivité. Il a vocation à être mis à jour de façon régulière, en fonction de l’évolution de l’industrie.

Ce rapport traite des activités sur actifs numériques au sens large ; notamment, plusieurs activités décrites ci-après ne sont pas concernées à ce jour par la réglementation PSAN ni par les recommandations du GAFI. Une première partie vise à réaliser l’inventaire de ces activités et les décrire, tandis qu’une seconde partie apporte des commentaires généraux tirés de la consultation sur cet écosystème en fort développement. 

L’ADAN reste à la disposition des intéressés pour clarifier ou détailler certains points de ce rapport.

Inventaire des activités

Dans le cadre de la consultation, les acteurs français ont indiqué exercer les activités suivantes.

Exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques

Cette activité consiste en l’exploitation d’une plateforme de négociation d’actifs numériques, selon la définition du régime PSAN, au sein de laquelle de multiples intérêts acheteurs et vendeurs sont exprimés par des tiers pour des actifs numériques contre d’autres actifs numériques et peuvent interagir d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats.

Plusieurs entreprises françaises opèrent des plateformes de ce type (deux répondants et plusieurs autres entreprises connues), pour des volumes variables, de l’équivalent de quelques centaines d’euros de volume par jour à plusieurs millions. Elles peuvent opérer aussi bien auprès de particuliers que d’entreprises.

Ces activités sont encadrées par la loi PACTE à titre optionnel.

Activité d’achat et de vente d’actifs numériques contre d’autres actifs numériques

Cette activité consiste à acheter et vendre des actifs numériques contre d’autres actifs numériques, à un prix déterminé.

Les acteurs concernés achètent et vendent des actifs numériques à leurs clients et se fournissent sur des marchés existants (plateformes d’échange, négociation de gré à gré, etc.). Ils interposent habituellement leurs comptes propres dans les transactions, mais cette interposition n’est pas systématique.

Plus de 12 entreprises françaises réalisent, à titre accessoire, ces opérations d’achat ou de vente d’actifs numériques à leurs clients contre d’autres actifs numériques. Cette activité est parfois, mais pas toujours, réalisée à titre accessoire à une activité principale de courtier en actifs numériques contre des monnaies ayant cours légal (euros, dollars, etc.).

Ces activités sont encadrées par la loi PACTE à titre optionnel.

Activité de gestion de portefeuille

Cette activité consiste à réaliser des achats ou des ventes actives et potentiellement très nombreuses dans le but gérer un portefeuille d’actifs numériques appartenant à un client tiers (le mandant), selon un mandat et des objectifs et politiques d’investissement définis à l’avance par le gérant et/ou au moyen d’algorithmes. Il s’agit donc ici de gestion sous mandat individualisée, et pas de gestion collective.

Ces acteurs se connectent sur des plateformes d’échange existantes (centralisées ou décentralisées) ou directement à des teneurs de marché et effectuent les opérations pour le compte de leurs clients.

Plusieurs entreprises françaises réalisent ces opérations pour compte de tiers (3 répondants).

Ces activités sont encadrées par la loi PACTE à titre optionnel.

Activités de réception et transmission d’ordres (RTO) pour le compte de tiers

L’activité de RTO dans le contexte des échanges entre actifs numériques consiste habituellement à réceptionner des ordres définis par des clients et à les transmettre sur des plateformes de marché permettant une bonne d’exécution de ces ordres.

Un acteur français réalise à titre exclusif cette activité de RTO : il réceptionne, pour le compte du donneur d’ordre, des ordres correspondant à l’application d’une stratégie de négociation par ses clients et les transmet sur des plateformes d’échange variées, qui les exécutent.

Ces activités sont encadrées par la loi PACTE à titre optionnel.

Activités de tenue de marché

L’activité de tenue de marché consiste pour un opérateur à assurer la profondeur d’un carnet d’ordres et à réduire la différence entre le meilleur prix d’achat et le meilleur prix de vente en diffusant des ordres à l’achat et à la vente (on parle de « fournir de la liquidité ») sur un actif et un marché particulier. Cette activité s’effectue souvent pour compte propre par l’opérateur qui obtient des prêts de la part des plateformes, des émetteurs de jetons ou directement depuis le marché du prêt-emprunt en actifs numériques.

A titre d’exemple, un teneur de marché peut assurer la tenue d’un carnet d’ordres présentant une profondeur suffisante pour une cryptomonnaie (BTC, ETH, XTZ, ARK…) ou des jetons moins liquides d’ICO (RLC, LGO, etc.) sur le marché secondaire. 

Lorsqu’elle s’effectue entre actifs numériques, il s’agit habituellement de fournir de la liquidité sur des paires :

  • entre un jeton d’ICO et une cryptomonnaie de référence (BTC ou ETH).
  • entre deux actifs numériques de référence (BTC/ETH, BTC/XRP)
  • entre un « stable coin » et une cryptomonnaie ou un jeton d’ICO.

Les teneurs de marché réalisent leurs obligations en couvrant leurs risques sur plusieurs plateformes et plusieurs paires, à l’aide d’algorithme de trading spécialisés.

Il convient de noter que des applications innovantes du secteur des actifs numériques permettent d’automatiser la fourniture de liquidité. Dans ce cas, l’unique travail du teneur de marché consiste à mettre à disposition un nombre d’actifs numériques déterminé sur un compte existant sur une blockchain. La liquidité est fournie automatiquement sur le marché à partir de ces actifs, sans nécessité d’une action additionnelle de l’acteur. Il perçoit une rémunération pour cette fourniture de liquidité. Exemples : Uniswap, KyberNetwork.

La majorité des teneurs de marché fournit également des fonds, courtiers ou autre acteur ayant une surface financière importante dans des transactions de gré à gré en interposant leur compte propre.

Plusieurs acteurs français (4 répondants) réalisent des activités de tenue de marché, soit pour des tiers, soit pour leur propre compte. Il utilisent pour cela des fonds propres ou des actifs numériques empruntés à des tiers. Les volumes atteints peuvent être significatifs (centaines voire milliers de transactions par jour, avec des volumes par transaction se situant habituellement entre 100 € et 1000 €).

Ces activités ne sont pas encadrées par la loi PACTE – les acteurs qui la réalisent n’interviennent pas en tant qu’intermédiaire.

Activités de minage ou de staking

Cette activité consiste à effectuer des opérations de validation de nouveaux blocs d’une blockchain publique et de percevoir une rémunération en actifs numériques en échange de ces opérations. Ces actifs numériques sont nouvellement émis au moment de la création du nouveau bloc.

Le terme « minage » est associé à une validation d’une blockchain par un protocole dit « proof of work », qui nécessite d’effectuer des calculs mathématiques générant une forte dépense énergétique pour la validation des nouveaux blocs, alors que le terme « staking » fait référence à un mode de validation requérant essentiellement la possession d’actifs numériques natifs de la blockchain considérée.

Plusieurs acteurs français (3 répondants et plusieurs acteurs connus) effectuent des opérations de minage et de staking, pour compte propre ou pour le compte de clients qui paient ces prestations de validation, soit par un montant fixé à l’avance, soit par un montant variable des rémunérations perçues.

Ces activités ne sont pas encadrées par la loi PACTE.

Activités de prêt d’actifs numériques

Cette activité consiste à prêter des actifs numériques à des clients, en échange du paiement d’un taux d’intérêt. Ces actifs prêtés sont habituellement utilisés dans des opérations de trading avant l’échéance du prêt.

Un répondant a indiqué exercer cette activité, pour de faibles montants.

Ces activités ne sont pas encadrées par la loi PACTE.

Activités de distribution d’actifs numériques par « airdrop » ou « lockdrop »

Cette activité consiste à distribuer sur des comptes blockchain déterminés des actifs numériques en fonction de critères définis arbitrairement (détention d’un autre actif numérique, participation à une communauté, transaction spécifique envoyée par le détenteur du compte, etc.).

Ces distributions ont souvent pour objectif de récompenser un comportement déterminé ou de réaliser des actions de communication au profit de l’entreprise qui les réalise.

Trois répondant ont indiqué exercer cette activité, pour de faibles montants.

Ces activités ne sont pas encadrées par la loi PACTE.

Synthèse

ActivitéEncadrement PSANNombre d’acteurs concernésClientèle
Plateforme d’échange entre actifs numériquesOptionnel3+Particuliers et entreprises
Achat et vente d’actifs numériquesOptionnel12+Particuliers
Gestion de portefeuilleOptionnel3+Particuliers et entreprises
Réception et transmission d’ordre (RTO)Optionnel1+Particuliers et entreprises
Tenue de marchéNon4+Entreprises
Minage et stakingNon3+Particuliers et entreprises
Prêt d’actifs numériquesNon1+Entreprises
Airdops ou lockdropsNon3+Particuliers et entreprises

Commentaires relatifs aux réponses apportées par les acteurs sur leurs activités

Pluralité des activités exercées par acteur

La plupart des acteurs interrogés exercent plus d’une activité. Il s’agit d’une caractéristique du secteur, en France et hors de France. Les acteurs les plus valorisés à l’échelle mondiale (Coinbase, Kraken, Binance, etc.) exercent eux aussi de nombreuses activités.

A titre d’exemple, les plateformes d’échange entre actifs numériques conservent souvent les actifs numériques des clients (sauf cas exceptionnel où elles les délivrent immédiatement) ; elles sont donc souvent concernées par la catégorie « conservation » d’actifs numériques, ce qui signifie enregistrement et mise en oeuvre de procédures LCB-FT complètes au sens du droit français. C’est une complexité intrinsèque de la loi française, car les activités de change et de conservation (enregistrement obligatoire) peuvent être aussi associées aux activité de place de marchés (change et conservation) ou d’échange crypto-crypto (et donc de conservation). 

Cela porte parfois à confusion pour les acteurs et il apparaît souhaitable de clarifier les frontières des différentes activités et obligations respectives.

Faible niveau de risque LCB-FT posé par les transactions crypto-cryp

En pratique, les acteurs interrogés qui effectuent des transactions d’échange entre actifs numériques réalisent, en l’absence de tout cadre réglementaire obligatoire, des diligences en matière de LCB-FT. Ils font appel à des prestataires spécialisés pour identifier leurs clients, effectuent des diligences de surveillance de flux de transaction et recourent à des prestataires pour de l’analyse transactionnelle, même en l’absence de toute obligation.

Pour autant, les acteurs considèrent généralement que le niveau de risque posé par les activités crypto-crypto est faible et, par conséquent, la majorité d’entre eux (52 %) considèrent qu’il n’est pas pertinent d’imposer de régime obligatoire LCB-FT aux acteurs réalisant exclusivement des opérations crypto-crypto. 34 % considèrent que l’application des procédures de connaissance du client et d’analyse transactionnelle doit être imposée de manière générale, alors que 13 % d’entre eux indiquent que de telles diligences seraient uniquement nécessaires lorsque l’actif numérique est utilisé en moyen de paiement.

En soutien à leurs positions, les acteurs déploient notamment les arguments suivants :

  • Le blanchiment au moyen d’actifs numériques s’effectue quasi-exclusivement au passage en monnaie ayant cours légal. Les opérations réalisées entre actifs numériques ne constituent pas, dans la très large majorité des cas, des opérations de nature à augmenter ou réduire le risque de blanchiment sur un actif numérique donné. 

C’est bien au moment de l’achat ou de la vente de l’actif contre monnaie ayant cours légal (entrée ou sortie) que le risque de blanchiment se matérialise.

A ce titre, les acteurs réitèrent la nécessité d’imposer des obligations LCB-FT à tous les acteurs qui réalisent des opérations d’échange actifs numériques / monnaie fiduciaire à titre non-occasionnel. 

Ils pointent cependant que les diligences qui devraient être imposées à ces acteurs doivent prendre en considération les nombreuses opérations crypto-crypto qui peuvent être réalisées par les client, et par voie de conséquence la nécessité d’adapter les politiques LCB-FT applicables à l’industrie pour tenir compte de ces activités.

  • Certaines entreprises fournissent des outils de surveillance et d’audit des transactions sur les blockchains publiques. Citons notamment Scorechain, acteur européen établi au Luxembourg, Chainalysis, Elliptic, CipherTrace, etc. Ces sociétés fournissent aux acteurs de l’industrie des outils dits d’analyse transactionnelle. Ils analysent en temps quasi-réel les transactions réalisées sur la blockchain et, grâce à des bases de données mises à jour de façon très régulière et des algorithmes de machine learning, attribuent un score de suspicion aux transactions de la chaîne, dont se servent les acteurs pour réaliser des diligences LCB-FT.
  • Dans de très nombreux cas, l’application de diligences LCB-FT usuelles est techniquement impossible ou très difficile. Les acteurs citent notamment les flux provenant de plateformes d’échange décentralisées (qui offrent de la transparence sur les flux mais aucune possibilité d’effectuer des diligences d’identification des acteurs), les produits complexes dits de « finance décentralisée » permettant de prêter ou emprunter des actifs numériques sans intermédiaire, les opérations dites « Atomic Swap » qui consistent à échanger des actifs une blockchain contre des actifs d’une autre blockchain sans passer par un acteur centralisé, etc. En considération de ces cas, il apparaît nécessaire d’engager une réflexion globale sur les modalités d’application des obligations LCB-FT dans un contexte d’une tendance générale anticipée vers une décentralisation significative des acteurs à moyen et long terme.
  • En tout état de cause, toute obligation LCB-FT qui serait imposée à des acteurs opérant exclusivement avec des actifs numériques devrait suivre un strict principe de proportionnalité et correspondre à un réel risque de blanchiment. A ce titre, tous les acteurs souhaitent voir s’imposer une obligation LCB-FT aux échanges entre actifs numériques (6 répondants) précisent qu’elle doit être adaptée concrètement aux risques et à la spécificité des activités entre actifs numériques.

Préservation de la vie privée et du secret des affaires dans le cadre des transactions en actifs numériques

Les actifs numériques offrent une transparence complète des échanges lorsque ceux-ci sont réalisés sur la blockchain sur laquelle ils sont enregistrés. Cette transparence a donné naissance à de nouveaux outils de surveillance et de nouvelles méthodes de contrôle qui peuvent être utilisés par les acteurs, les organes de contrôle et les autorités judiciaires pour prévenir des actions illicites sur le réseau.

Pour autant, cette transparence complète des transactions financières réalisées par chaque acteur pose de multiples problèmes relatifs à la protection de la vie privée et du secret des affaires. De nombreux acteurs alertent sur les dangers que représentent cette transparence, et tout particulièrement dans le contexte du développement de projets de « stablecoins » émis par des banques centrales. Il semble difficilement envisageable à long terme, si de nombreuses activités se développement sur les blockchains publiques, qu’une transparence complète de l’ensemble des transactions soit souhaitable et même possible.

A ce titre, il faut noter le développement rapide de nombreuses technologies et services visant à rendre les transactions moins visibles ou invisibles sur les chaînes publiques :

  • Des services opérant hors de la blockchain des activités dites de « mixage » qui consiste à opérer pour compte de tiers un grand nombre de transactions en actifs numériques sur un grand nombre d’adresses pour obscurcir l’origine et la destination d’une transaction particulière.
  • Des blockchains publiques entièrement dédiées à ce cas d’usage spécifique (Monero, Zcash). Sur ces blockchains, les transactions sont soit entièrement cachées par défaut, soit sur option, transaction par transaction. Les informations cachées peuvent avoir trait au destinataire des actifs, à leur nombre, ou aux deux.
  • Des applications déployées sur les blockchains programmables (type Ethereum, Tezos, etc.) visant à utiliser les dernières avancées en matière de chiffrement pour rendre partiellement ou entièrement intraçables certaines transactions sur la chaîne. Ces applicatifs sont en fort développement depuis quelques mois, avec notamment le déploiement de services comme Aztec Protocol ou Tornado Cash et des projets plus institutionnels comme Nightwish développé par le cabinet de conseil EY.

Ces technologies, qui opèrent de plus en plus de façon décentralisée, posent de réels défis pour la réalisation de diligences LCB-FT aux transactions sur les chaînes, tout en simplifiant de nombreux cas d’usage des actifs numériques (par exemple leur utilisation en moyen de paiement, aujourd’hui largement freinée par cette transparence complète, cf. § 3.5 ci-dessous).

En conséquence, il apparaît nécessaire d’aborder la construction des obligations en matière de LCB-FT sur actifs numériques en anticipant le développement de ces services de façon mesurée et en se gardant de freiner le développement de technologies d’innovation financière qui sont encore embryonnaires. A titre d’exemple, il ne semblerait pas opportun d’interdire purement et simplement aux prestataires d’accepter des fonds qui proviendraient d’un acteur ayant eu recours à ces services, mais plutôt de recommander une adaptation du niveau de risque correspondant à la transaction en cause.

Recours à des prestataires et sous-traitance d’activités

La plupart des activités crypto-crypto sont réalisées depuis la France mais à l’aide de prestataires de service qui peuvent être localisés dans le monde entier. A titre d’exemple, les brokers se fournissent sur les marchés en actifs numériques les plus liquides, dont les structures juridiques sont localisées hors de France – Etats-Unis (Coinbase, Kraken, Poloniex) ou Europe (Bitstamp, Binance) pour l’essentiel. Ces prestataires font l’objet de vérifications et de contrôles par les acteurs français pour s’assurer de leurs diligences auprès de leurs clients finaux. Un équilibre est trouvé, in fine, entre la recherche du meilleur prix disponible et le degré de contrôle effectué par les acteurs sélectionnés sur leurs clients.

Il convient également de noter que certaines activités crypto-crypto ne sont pas réalisées par les acteurs directement mais sont entièrement sous-traitées à d’autres entités localisées à l’étranger. Il s’agit essentiellement des activités faisant naître un risque ou une dette fiscale ou comptable forte pour les acteurs, et principalement d’activités d’animation de marché ou de couverture de risque de change pour lesquelles le traitement fiscal et comptable français est perçu comme très pénalisant.

Paiement en actifs numériques

Bien que le cas « paiement » n’ait pas été considéré directement dans le présent rapport comme une activité crypto-crypto (il s’agit bien d’une activité d’échange d’un actif numérique contre un actif de nature différente), il semble intéressant d’en explorer les contours dans la mesure où de nombreux signaux indiquent que ces usages ont vocation à développer fortement dans les prochaines années. 

Plusieurs acteurs nous ont indiqué d’ores et déjà accepter des paiements ou en effectuer, et de nombreux autres sont en phase d’adoption (au total, 6 entreprises ayant répondu à la consultation sont concernées). 

En outre, de nombreuses solutions techniques sont développées sur tous les protocoles pour faciliter et accélérer ces opérations de paiement. Au chapitre des solutions techniques en développement, citons, sur Bitcoin, BTCPay ou Lightning Network (ce dernier étant développé notamment par la société française Acinq), sur Ethereum xDAI ou les zk-Rollups. 

Dans un autre registre, de nombreux acteurs de l’industrie développent et déploient des solutions visant à permettre aux commerçants d’accepter des actifs numériques en paiement, ceux-ci étant alors habituellement convertis de façon immédiate en monnaie à cours légal par leur intermédiaire (exemples : Coinbase Commerce, Bitpay, Crypto.com Pay, Coingate, Coinpayments…). Aucun acteur de ce type n’existe encore en France mais plusieurs projets sont en cours de développement dans ce secteur (dont plusieurs ayant réalisé des campagnes de communication par voie de presse).

L’usage des actifs numériques comme mode de paiement est susceptible d’apporter de nombreux avantages pour le consommateur mais aussi pour les destinataires des paiements, et l’encadrement (ou l’absence d’encadrement) de ces usages sera un facteur clé du développement ou du non-développement de ces cas d’usage en France.

De façon prospective, ce sujet doit être considéré, notamment en ce qui concerne l’encadrement des paiement en général et spécifiquement sur les obligations LCB-FT des acteurs qui accepteraient ces nouveaux moyens de paiement, qui pourraient, sous réserve, être assimilés dans ce cas à des «  espèces numériques ».

Actifs numériques uniques ou « non-fongibles »

Les actifs numériques non-fongibles (« non-fungible tokens » ou « NFT ») sont une catégorie d’actif en fort développement dans l’industrie. De nombreuses sociétés, y compris parmi les grands groupes français, examinent de nombreux cas d’usages liés à la création de ces actifs numériques uniques. Plusieurs jeunes sociétés françaises ont également développé des activités en lien avec ces actifs. Citons à titre d’exemple :

  • Sorare, qui crée un jeu de Fantasy Football donc les cartes sont représentées par des NFT ;
  • Arianee, qui représente sous forme de NFT des objets de luxe,
  • L’artiste Pascal Boyard, qui vend sur la plateforme OpenSea des titres de propriété numérique sur ses oeuvres
  • Unlock Protocol, qui permet de représenter par des NFT des droits d’entrée où des abonnements.

Sur ces activités particulières, il convient de noter que :

  • Les actifs numériques sont ici utilisés pour représenter des objets purement numériques (cartes à jouer, objet dans un jeu vidéo, art numérique), des droits particuliers (droit d’entrée par exemple) où encore des représentations de biens meubles existants. 
  • Les transactions d’échange intervenant sur ces actifs ont le plus souvent (mais pas toujours) vocation à être des transactions occasionnelles pour des sommes faibles.
  • Le caractère purement numérique de ces actifs permet, comme pour les autres actifs numériques, leur échange sans intermédiaire, où encore leur échange par l’utilisation de services décentralisés.

En conséquence, un encadrement efficace du secteur des actifs numériques devra nécessairement prendre en compte la spécificité de ces actifs et des activités de vente ou échange de ceux-ci, qui pourraient souvent s’apparenter davantage à des activités de commerce de biens qu’à des activités financières. A ce titre, il apparaîtrait par exemple inadapté d’assimiler les vendeurs de NFT à des intermédiaires effectuant des ventes d’actifs numériques contre des euros au sens de la loi PACTE.

Accès aux services dits « décentralisés »

Comme évoqué au point 3.2, il semble également important de souligner le développement significatif de services dits “décentralisés” qui déportent sur la blockchain une partie de la logique d’exécution des services, conformément aux nouveaux cas d’usage permis par les smart-contracts. Ces services bénéficient de la transparence et de l’auditabilité des transactions réalisées sur blockchain. 

Si aucune entreprise localisée en France n’a rapporté développer ou opérer ce type de services dans le cadre de cette consultation, de nombreuses entreprises françaises envisagent d’ouvrir à leurs clients l’accès à ce type de service. 

Dans l’optique de poursuivre voire encourager l’innovation dans le domaine des services décentralisés, qui concentre l’essentiel des expérimentations disruptives du secteur, et de ne pas bloquer leur accès à une clientèle localisée en France, la possibilité de reconnaître expressément le droit des acteurs français à recourir à ces services dans le cadre de leurs activités, pour leur compte propre où pour le compte de tiers, serait pertinente. 

Autres commentaires recueillis dans le cadre de la consultation

Les acteurs ont également souhaité faire remonter les points suivants :

  • Imposer des contrôles LCB-FT ne doit pas avoir pour conséquence d’avorter les initiatives sur le secteur des actifs numériques en France.
  • L’absence de solution d’aides à la mise en oeuvre de politiques LCB-FT portées par les institutions un point de faiblesse. En effet, un KYC / LCB-FT sérieux ne pourrait se faire sans une consultation des listes de surveillance internationales (terrorisme, gel d’avoirs…). Or l’accès à cette information n’est possible que par l’intermédiaire de services payants. Par conséquent, le risque est que certains acteurs laissent de côté cette diligence lorsqu’ils se lanceront dans l’activité de vente d’actifs numériques. Il serait souhaitable que ces services soient accessibles voire gratuits pour garantir leur utilisation.
  • Enfin, le plus gros frein à la réalisation d’opérations crypto-crypto dans le cadre d’une activité professionnelle est la fiscalité associée au traitement comptable de ces opérations (en France). En effet, l’échange d’un crypto actif A contre un autre crypto actif B est traité comptablement en deux opérations : Crypto-actif A vendu avec une contre-valeur comptable en euros, puis la contre-valeur en euros est utilisée comme prix d’achat du crypto actif B pour calculer les plus ou moins values à venir au jour de la revente du crypto-actif B. Ce traitement comptable implique que l’entreprise va devoir s’acquitter d’un impôt (à payer en euros) sur la vente du crypto-actif A, alors même qu’elle ne possède pas ce montant en euros (l’entreprise possède le crypto actif B, non pas des euros). La solution retenue par la loi PACTE au titre des personnes physiques a été de reporter la constatation et l’imposition des plus-values aux opérations d’échange entre crypto et monnaie à cours légal uniquement. 

Annexe : Résultats de la consultation au 14 février 2020

Association pour le Développement des Actifs Numériques www.adan.eu • [email protected]