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Etat de l’industrie crypto/blockchain pendant la crise du COVID-19
La situation sanitaire liée au COVID-19 a impacté tous les secteurs de l’économie française. Les acteurs des actifs numériques et de la blockchain (acteurs “crypto/blockchain”) ne sont pas épargnés. Dans ce contexte, l’Adan a lancé une grande enquête auprès de l’industrie. Sur la base des contributions des participants à cette enquête, le présent rapport dresse l’état des lieux du secteur des actifs numériques et de la blockchain en cette période exceptionnelle.
Introduction
Contexte et présentation de l’enquête
La situation sanitaire liée au COVID-19 a impacté tous les secteurs de l’économie française. Les acteurs des actifs numériques et de la blockchain (acteurs « crypto/blockchain ») ne sont pas épargnés.
Dans ce contexte, l’ADAN a lancé le 24 avril 2020 une grande enquête auprès de l’industrie (en Annexe). Sur la base des contributions des participants à cette enquête, le présent rapport dresse l’état des lieux du secteur des actifs numériques et de la blockchain en cette période exceptionnelle.
En date du 26 mai 2020, 87 retours au questionnaire, dont 72 répondants dont l’activité ou le projet porte effectivement sur les actifs numériques ou la blockchain, ont été récoltés.
En synthèse, le présent rapport permet d’établir le diagnostic suivant :
- L’impact de la conjoncture sanitaire et économique actuelle est réel et substantiel pour l’industrie crypto/blockchain. En effet, le financement des acteurs est très sévèrement ébranlé par la crise. Leur activité économique et leurs projets s’avèrent négativement, voire très négativement, impactés. En revanche, la crise entraîne peu de conséquences sur la gestion du personnel et l’organisation du travail. Pour autant, les acteurs expriment une perception générale très partagée sur l’impact global de la crise, qui s’explique par les opportunités naissant de ce contexte a priori défavorable et une situation contrastée entre le secteur B2C et le B2B, le premier résistant beaucoup mieux à la présente conjoncture.
- Les mesures de soutien économique mises en place par le gouvernement apportent un soutien limité aux acteurs crypto/blockchain. Il s’agit d’un double problème de demande et d’offre. En effet, du côté de la demande, le recours aux mesures de soutien mises en place par le gouvernement est relativement faible. Du côté de l’offre, les acteurs ayant sollicité l’aide de l’État et des établissements bancaires obtiennent très rarement satisfaction. Mais toutes les difficultés rencontrées ne sauraient être résolues par ces dispositifs conjoncturels, car de vrais problèmes structurels doivent être traités pour soulager les acteurs.
- L’industrie crypto/blockchain perçoit aussi, dans cette crise, un terreau d’opportunités qui les inspire et les pousse à imaginer de nouvelles solutions toujours plus innovantes.
Cartographies des répondants
72 réponses ont pu être exploitées pour établir le présent rapport.
Les dirigeants forment la grande majorité des répondants à ce questionnaire (72 %).
A l’exclusion d’un répondant, l’ensemble des entreprises s’adressent, en tout ou partie, au marché français. En revanche, elles n’ont pas systématiquement établi leur siège en France (environ 80 % d’entre elles).
Les domaines d’activité principaux des répondants sont relativement variés, mais le secteur des actifs numériques est le plus représenté (37,5 %), suivi par les domaines Banque-Finance-Assurance (près de 21 %), Informatique, électronique et télécom (18 %) et Etudes et conseils (11 %).
La plupart des acteurs réalisent plusieurs activités différentes, avec une représentation très éclectique :
- La première catégorie d’activité représentée est celle des produits et services, vendus aux entreprises ou aux particuliers (35 % des entreprises effectuent cette activité).
- Une grande partie des répondants réalise des activités d’accompagnement au secteur avec une répartition relativement équilibrée entre les activités de prestations d’étude, conseil ou développement (32 %), de développement de protocoles (29 %) et de vente de services liés aux actifs numériques (près de 28 %) ;
- Puis, les activités « financières » sur les actifs numériques, à savoir les services sur actifs numériques
Les services sur actifs numériques s’entendent comme les services listés à l’article L. 52-10-2 du Code monétaire et financier (près de 35 %), l’émission (ICO, STO, etc.) d’actifs numériques (18 %), les paiements en actifs numériques (12,5 %), la tenue de marché / animation (près de 10 %), le prêt d‘actifs numériques (4 %) et le crypto-banking (1 %).
Enfin, un panel d’activités diverses complétant utilement ce panorama, telles le minage/staking (8 %), le traitement/la fourniture de données sur actifs numériques (5,5 %), la création de contenus/media (près de 3 %) et la formation (1 %).
Ces acteurs s’adressent particulièrement aux professionnels, en tant que cible finale des produits/services qu’ils proposent (57 % de B2B) mais aussi en tant qu’intermédiaire pour la distribution de ces produits/services aux particuliers (près de 17 % de B2B2C). Les particuliers en direct constituent le marché cible de 25 % des répondants (B2C), et un seul s’adresse à l’Administration (États et institutions).
L’impact de la conjoncture sanitaire et économique actuelle sur l’industrie crypto/blockchain
Les participants étaient invités à évaluer les effets de la crise sous différents angles d’étude (activité économique, projets en cours, financement, gestion du personnel, organisation du travail), avant d’en estimer l’impact global sur leur activité. L’échelle proposée afin de répondre était ainsi graduée : très négatif, négatif, aucun impact, positif, très positif.
En synthèse, la consultation de l’industrie permet de dresser le panorama suivant :
- L’impact de la conjoncture sanitaire et économique actuelle sur le financement, l’activité économique et les projets des acteurs crypto/blockchain est généralement négatif. La gestion du personnel et l’organisation du travail semblent en revanche relativement épargnées.
- Toutefois et de façon moins attendue, l’industrie est relativement partagée lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact global de la présente crise qui – sur la base des conclusions tirées de chaque facteur étudié indépendamment – devrait logiquement se révéler clairement négatif. Ceci peut s’expliquer par les opportunités – présentées plus loin dans ce rapport – que les acteurs ont su identifier dans ces circonstances particulières.
Le segment B2C des activités crypto/blockchain résiste bien mieux à la crise que les activités B2B et B2B2C, voire se développe. Ceci corrobore les témoignages de certains acteurs entendus précédemment par le Figaro
Constat #1 : Le financement des acteurs crypto/blockchain, très sévèrement ébranlé par la crise
Le financement des acteurs du secteur crypto/blockchain est très impacté par la situation présente. En effet, pour presque 60 % des répondants, la conjoncture actuelle a eu un impact négatif, et près de 27 % estiment même qu’il est très négatif. Ce constat est partagé par tous les acteurs quel que soit le marché qu’ils adressent, même si le secteur B2C semble mieux s’en sortir (voir histogramme ci-dessous).
Les difficultés éprouvées s’expliquent par la frilosité accrue des business angels et des fonds d’investissement (parmi lesquels les fonds de capital-investissement), et le recentrage de leurs ressources financières sur les projets existants et les levées de fonds quasi-achevées, au détriment de nouvelles levées et acquisitions de projets (totalement suspendues et dépriorisées à l‘heure actuelle). Certains participants réussissent néanmoins à entretenir des discussions avec certains acteurs étrangers qui semblent avoir été moins fortement impactés.
Seuls 11 % des répondants voient un impact positif de la crise sur le financement de leur activité (dont 2 très positifs dans le secteur B2B2C) et 20 % des répondants ne constatent aucun impact.
Constat #2 : L’activité économique et les projets des acteurs crypto/blockchain, très impactés par la crise
L’activité économique et les projets en cours ont subi un choc négatif pour une majorité des acteurs interrogés, même si pour certains l’impact est positif. Très peu d’acteurs remontent une absence d’impact.
Environ 49 % des répondants estiment que leur activité économique a été négativement impactée par la crise, et 7 % qualifient cet impact de très négatif. Cela se matérialise à des degrés divers, comme un frein à une dynamique de croissance engagée, jusqu’à l’assèchement de certaines sources de revenus et la remise en cause du modèle économique des acteurs.
Environ 41 % des répondants jugent au contraire que la crise est un facteur positif pour leur activité économique, et même très positif pour un acteur B2B2C. Pour 17 % des participants, la conjoncture actuelle n’a eu aucun impact.
Environ 46 % des répondants jugent que la crise a eu un impact délétère sur la conduite de leurs projets, et 11 % évaluent même qu’il est très délétère. Cela se traduit par le report de ces projets, et principalement les projets de développement.
Au contraire, 31 % répondants rapportent un choc positif de la crise sur leurs projets, et 8,5% le qualifie de très positif. Près de 24 % des participants n’observent aucun impact.
Dans l’ensemble, l’activité économique et les projets des acteurs B2C sont moins bien négativement impactés par la crise que ceux des acteurs s’adressant aux professionnels (B2B et B2B2C), et presque la moitié d’entre eux ont vu leur activité positivement impactée par le contexte de crise (voir histogrammes ci-dessous).
Constat #3 : Peu de conséquences sur la gestion du personnel et l’organisation du travail chez les acteurs crypto/blockchain
La crise ne semble pas avoir perturbé le travail des équipes au sein des acteurs crypto/blockchain, ni dans leur organisation (travail à distance) ni dans la disponibilités de leur capital humain. En effet, la moitié des répondants rapportent que l’impact de la crise – tant sur la gestion du personnel que sur l’organisation du travail – se révèle in fine neutre.
S’agissant de la gestion du personnel, 39,5 % des répondants rapportent tout de même des conséquences négatives (8 % très négatives) contre seulement 12,5 % revendiquant un impact positif (3 % pour qui cela est très positif).
S’agissant de l’organisation du travail, plus de 29 % des répondants évaluent un effet négatif de la crise (5,5 % très négatif) contre 22 % pour lesquels cet effet est positif (et très positif pour 4 % des participants).
Sous ces deux angles d’analyse, les acteurs B2B sont bien plus négativement impactés par la crise que les acteurs du B2C, et dans une moindre mesure du B2B2C.
Constat #4 : Une perception générale moins tranchée sur l’impact global de la crise
L’évaluation par les acteurs de l’impact général de la crise sur leur activité appelle un constat très mesuré et relativement contre-intuitif au regard des opinions nettement négatives collectées sur le financement et pour moitié négatives sur l‘activité économique et les projets en cours. En effet, si 43 % des répondants estiment que le diagnostic global de la situation présente est négatif – 8 % rapportant même un bilan très négatif où un acteur (du secteur B2B) relate même l’arrêt total de son activité – 40 % des répondants le qualifient au contraire de positif (7 % très positif). 15 % des répondants jugent que la crise n’a eu aucun impact sur leur activité.
Ceci s’explique sans doute par les opportunités que les acteurs ont su identifier durant cette période exceptionnelle, présentées ci-dessous, mais aussi par l’impact finalement assez positif de la crise sur l’activité économique pour une partie des acteurs B2C : le grand public semble en effet se réintéresser aux actifs numériques pendant cette période particulière.
Une analyse plus fine au niveau des différents marchés adressés par les participants permet d’ailleurs d’observer que le segment B2C de l’activité crypto/blockchain tire majoritairement son “épingle” de la crise : en effet, près de 56 % estiment que la situation présente est globalement positive pour leur activité. A contrario, les acteurs proposant leurs produits/services à une clientèle professionnelle (B2B et B2B2C) sont bien plus rares à partager ce constat : seuls 36 % des B2B et 41 % des B2B2C.
Les mesures de soutien économique mises en place par le gouvernement
Les participants au questionnaire se sont vus interrogés sur leur appétence à bénéficier des aides mises en place par le gouvernement dans le contexte actuel, et le cas échéant les réponses qui leur ont été apportées. Le tableau ci-dessous synthétise les dispositions sur lesquelles les répondants ont apporté leur éclairage :
Les mesures de soutien économiques mises en place pour les start-ups | Les mesures de soutien économiques mises en place pour les entreprises |
Financement (obligations avec accès possible au capital) via le Programme d’investissements d’avenir (PIA) gérée par Bpifrance Prêts de trésorerie garantis par l’État (PGE) distribués par les banques privées et Bpifrance Remboursement accéléré par l’État des crédits d’impôt sur les sociétés restituables en 2020, dont le crédit impôt recherche (CIR) pour l’année 2019, et des crédits de TVA Versement accéléré des aides à l’innovation du PIA (déjà attribuées mais non encore versées) | Délais de paiement d’échéances sociales et/ou fiscales (URSSAF, impôts directs) Remise d’impôts directs Report du paiement des loyers et factures (eau, gaz, électricité) Fonds de solidarité pour les TPE, indépendants et micro-entrepreneurs Prêt garanti par l’État (PGE) Médiation du crédit pour le rééchelonnement des crédits bancaires Dispositif de chômage partielMédiateur des entreprises (en cas de conflit) |
En synthèse, ces dispositifs de soutien montrent une efficacité limitée pour aider les acteurs crypto/blockchain. Ces limitent s’expliquent à la fois du côté de la demande – les acteurs eux-mêmes – et de l’offre – l’État et les établissements bancaires -. En effet, ces mesures conjoncturelles se confrontent à des obstacles structurels de longue date.
Constat #1 : Un faible recours aux mesures de soutien mises en place par le gouvernement
Les acteurs crypto/blockchain comptent peu sur le soutien de l’État en cette période exceptionnelle. Près de 60 % des répondants n’ont demandé aucune des aides mises en place par le gouvernement, que ce soit pour les start-ups ou pour l‘ensemble des entreprises. Au total, 68 % des répondants n’ont pas sollicité d’aides « start-ups », et 62,5 % des répondants d’aides accessibles à toutes entreprises.
L’intérêt très modéré des acteurs pour les dispositions mises en place par le gouvernement peut sans doute s’expliquer, en partie, par un certain scepticisme. En effet, au sein même du groupe des 37,5 % des répondants bénéficiant de ces mesure, près de 52 % estiment qu’elles ne seront pas suffisantes afin de préserver leur activité des dommages de la crise. De telles anticipations peuvent laisser supposer que certains acteurs ne s’engagent pas dans les procédures requises pour demander les aides de l’État.
Un autre facteur peut être déduit du faible taux de réponse reçu par les candidats à ces aides, et des difficultés éprouvées par ceux-ci durant leurs démarches. La diffusion rapide, au sein de l’écosystème, de l’information concernant les obstacles rencontrés par les premiers demandeurs de ces mesures de soutien, a ainsi pu dissuader les autres acteurs de tenter eux-même leur chance (voir constat #2 ci-dessous).
Constat #2 : Une absence substantielle de réponses aux aides demandées par les acteurs blockchain/crypto
Lorsque les acteurs crypto/blockchain sollicitent l’aide de l’État, celle-ci est loin de leur être systématiquement accordée.
Concernant les aides « start-ups », le constat est sans appel. Sur les 36 demandes ayant été formulées par les répondants, 32 – soit près de 89% – ont ainsi été refusées ou n’ont pas été traitées.
Concernant les aides « entreprises », le constat est moins sévère. Sur les 54 requêtes des répondants, 18 – soit le tiers – n’ont pas été traitées ou satisfaites. Ceci peut sembler contre-intuitif dans la mesure où ces aides s’adressent à une cible plus large de bénéficiaires potentiels.
Les réponses au questionnaire ont permis de révéler les principaux obstacles pouvant expliquer la concrétisation limitée des requêtes déposées par les acteurs crypto/blockchain.
D’une part, les acteurs mettent en lumière des problèmes techniques, qu’il s’agisse de l’encombrement des canaux de candidature, ou de l’impossibilité pour leurs interlocuteurs en télétravail de disposer des outils nécessaires pour répondre à leur demande.
D’autre part, et plus substantiellement, les répondants remontent une communication laborieuse dans le cadre de leurs démarches et les a priori négatifs traditionnels à l’égard de leur activité :
- Réticence relative à la nature crypto/blockchain de l‘activité. Les acteurs font face à une certaine frilosité chez leurs interlocuteurs due aux activités ou modèles économiques innovants qu’ils présentent, celle-ci prenant le pas sur les annonces et les discours très allants
L’État a massivement mis la main à la poche pour aider les start-up, Vincent Fago, Le Monde, 25 mai 2020 : https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/05/23/l-État-a-massivement-mis-la-main-a-la-poche-pour-aider-les-start-up_6040521_3234.html
- Blocage structurel entre l’industrie crypto/blockchain et le secteur bancaire. Les acteurs ayant été notifiés d’un refus d’accès aux aides demandées se sont vu opposés, par les établissements bancaires, des motifs directement imputables à leur activité. Des acteurs se sont ainsi vu explicitement avertis qu’il serait difficile d’obtenir un prêt en raison de leur activité, celle-ci étant liée aux actifs numériques. Pour cette même raison, de façon récurrente hors temps de crise, ces entreprises se voient refusées l’ouverture d’un compte bancaire : le PGE est alors apparu, du départ, inaccessible à ces entités “non bancarisées”. D’autres ont rencontré des difficultés du fait que leur activité n’est pas établie mais en cours d’établissement, ou que leur financement provenait d’une Initial Coin Offering (ICO). Enfin, certains ont été jugés inéligibles au dispositif demandé (principalement le PGE) quand bien même les critères ne semblent pas devoir les exclure
Les entreprises et les professionnels de toute taille, quelle que soient leur forme juridique et leur activité, sont éligibles au PGE à l’exception des SCI, établissements de crédits et sociétés de financement, ainsi que des entreprises qui – au 31 décembre 2019 – faisaient l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel ou se trouvaient en période d’observation au titre d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire .
- Contact difficile voire impossible avec l’interlocuteur concerné dans leur démarche, que ce soit au sein de l’administration, auprès des propriétaires immobiliers ou encore des établissements bancaires. Les acteurs sont confrontés à l’absence d’allocutaire, ou à un manque de réactivité provoquant l’allongement significatif des procédures et des délais de réponse.
En conclusion, l’ensemble de ces blocages ne sont ni nouveaux ni spécifiques au contexte : ils font échos aux obstacles rencontrés en temps normal par les acteurs pour accéder aux services des établissements de crédit. Ainsi, une partie des acteurs ne peuvent obtenir de prêts – classiques ou PGE – car ils ne disposent pas de compte auprès d’un établissement français.
Constat #3 : Les aides ne sont pas la panacée
Les difficultés rencontrées par les acteurs ne sont pas nécessairement solvables au moyen des mesures de soutien économique mises en place par l’État.
En effet, les aides gouvernementales aux start-ups n’intègrent pas nécessairement un volet blockchain et actifs numériques vers lequel les acteurs peuvent se diriger directement, et dans lequel ils pourraient trouver une expertise fine de leur industrie. Un répondant suggère par exemple que le PIA déploie une branche dédiée, car aujourd’hui la blockchain et les actifs numériques sont inclus dans la très large catégorie des “deeptech”. Un traitement plus rapide et plus efficace des demandes d’aides formulées par les acteurs pourrait sans doute être permis par une fragmentation plus granulaire des parcours et l’affectation de ressources et expertises ad hoc.
Également, un acteur relève la paralysie des aides traditionnelles, comme la Bourse French Tech : il dénonce ainsi un désintérêt total de ses interlocuteurs habituels, dû au contexte exceptionnel, quand bien même la continuité de ce parcours lui est cruciale.
Enfin, l’incertitude et les blocages réglementaires pré-existants à la crise catalysent les difficultés rencontrées par les acteurs crypto/blockchain dans la conduite normale de leur activité. Par exemple, les exigences en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT) en vigueur sont en partie inadaptées à l’industrie des actifs numériques, et par là même très difficiles à mettre en oeuvre par les acteurs – pratiquement et financièrement parlant.
L’incertitude qui en découle, associée à la frilosité habituelle des acteurs traditionnels qu’exacerbe la présente crise, est d’autant plus dommageable aux acteurs crypto/blockchain aujourd’hui.
La crise, ou transformer l’essai à la faveur de l’industrie crypto/blockchain : nouveaux marchés et ambitions de long terme
Si le contexte apparaît peu clément de prime abord, l’industrie crypto/blockchain réussit à en saisir les opportunités : les écueils de la crise, et les réflexions autour de la relance économique et de la refonte du système dans son ensemble, galvanisent l’émergence de nouvelles solutions toujours plus innovantes.
Constat #1 : La crise est un terreau d’opportunités pour le secteur crypto/blockchain
Face aux difficultés qu’elle rencontre, l’industrie des crypto-actifs et de la blockchain n’est pas résignée : au contraire, elle est très réactive et déterminée à tourner la situation à son avantage. Près de 70 % des répondants ont ainsi su identifier des opportunités malgré la conjoncture sanitaire et économique défavorable.
Tout d’abord, la conjoncture actuelle – et plus particulièrement le confinement de la population – ont contraint à un bouleversement profond du quotidien des professionnels crypto/blockchain marqué par le télétravail et les relations à distance, tant en interne qu’avec leurs partenaires ou leurs clients et prospects. Mais la mutation forcée du fonctionnement des acteurs révèle in fine de meilleures façons de procéder, qui conduisent aujourd’hui à repenser des modes d’organisation et de fonctionnement plus efficients. Le télétravail semble en effet un catalyseur de productivité, et les acteurs valorisent les gains de temps considérables qui en découlent, utilisés pour optimiser leur organisation et augmenter leur volume de travail. Outre l’économie de temps, les acteurs estiment que le succès de cette expérimentation généralisée du télétravail pourrait également permettre la réduction des charges des entreprises, notamment le loyer et les équipements sur site qu’il serait possible de rationaliser. Enfin, le télétravail est perçu comme l’instigateur de la création de nouveaux services aux professionnels, à commencer par les outils de communication et l’évènementiel à distance (conférence en réalité virtuelle).
Également, la situation présente met en exergue des failles du système actuel : ce contexte s’avère ainsi propice à la promotion des produits et services blockchain offerts au sein de l’écosystème français, ainsi qu’à celle des actifs numériques.
En effet, les caractéristiques intrinsèques à la blockchain (i) de résilience informatique, (ii) de transparence, (iii) de confidentialité des données et (iv) d’automatisation des process et des transactions (allant de pair avec une plus grande rapidité d’exécution) font échos aux problématiques actuelles (i) de recrudescence de la cybercriminalité, (ii) d’opacité de certaines procédures et opérations (à commencer par l’octroi des aides aux entreprises), (iii) du respect de la vie privée (dans le contexte des débats autour de l’application StopCovid) et (iv) de la bureaucratie “papier” dont les limites se sont vues exacerber avec la crise (lenteur voire arrêts des services). Les acteurs perçoivent ainsi un intérêt croissant pour la blockchain et accèdent plus facilement à une cible autrefois plus réticente, qui aujourd’hui comprend mieux les opportunités offertes par la technologie.
Une demande accrue – par de nouveaux clients – a ainsi été constatée par les répondants pour les solutions qu’ils proposent (et proposaient déjà avant la crise), par exemple le financement des entreprises grâce la tokenisation de titres de créance, la certification de documents, la numérisation des process à chaque étape des chaînes logistiques afin d’éviter/supprimer tous contacts entre les personnes. Les acteurs ont également observé que les clients déjà engagés dans leur transformation numérique en amont de la crise ont choisi d’accélérer leur mutation, au détriment d’autres projets ayant a contrario été repoussés. La conjonction de ces signaux positifs conduit les acteurs à espérer se positionner sur des segments de marché stratégiques ou traditionnellement difficiles à atteindre, comme la cyberdéfense ou la santé.
Conformément à cet environnement favorable à davantage explorer le potentiel de la blockchain, s’est engagée une plus forte démocratisation des actifs numériques. En effet, le krach financier a élevé les actifs numériques au rang d’actif de diversification crédible, et un nombre croissant d’investisseurs – entreprises et particuliers – les ont ainsi intégré à leur portefeuille. Fort de ce constat, un répondant a même initié le lancement d’une offre de formation au marché des actifs numériques. En parallèle, la fréquentation des médias en ligne spécialisés, ainsi que la participation aux webinars sur la blockchain et les actifs numériques, se sont nettement appréciés, confirmant l’intérêt grandissant du grand public pour les actifs numériques. Ceci concourt également à expliquer le maintien de l’activité de certains répondants, soutenu par l’arrivée de cette nouvelle cible d’utilisateurs.
Enfin, la crise dégage de nouvelles tendances de fonds permettant d’imaginer, à long terme, une transformation profonde du système économique et financier.
D’une part, tant les transformations des habitudes de travail que la « distanciation sociale » – amenées à perdurer – poussent à la numérisation généralisée de l’ensemble de l’économie. Le besoin de « digitalisation » des process (par exemple, l’adoption généralisée de la signature électronique) et la dématérialisation, en vue de créer une alternative numérique lorsqu’elle n’existe pas aujourd’hui (à commencer par l’identité numérique), devraient pousser les entreprises et les administrations à accélérer leur transformation numérique. Certains répondants ont d’ailleurs déjà constaté une telle demande.
D’autre part, la démocratisation des actifs numériques dans un contexte de fragilisation des marchés financiers et des services bancaires, conjuguée à la nécessité d’une économie numérique plus aboutie, favorisent l’essor de la finance décentralisée (ou finance ouverte, dite « DeFi »). Le développement de services financiers sur la blockchain pourrait en effet permettre d’anticiper les besoins de l’économie post-crise tels que :
- la création de nouveaux outils de financement – plus rapides et moins coûteux – pour les petites et moyennes entreprises, pour qui l’accès aux crédits bancaires est moins aisé que les grandes entreprises ;
- le renforcement de la liquidité (en particulier sur le non coté), afin d’aider les investisseurs à rentrer et sortir plus facilement du capital des entreprises ;
- l’accès à de nouvelles alternatives d’investissement pour une meilleure diversification des risques ;
- le développement d’une nouvelle offre de produits financiers, plus ouverts et accessibles même pour les populations non-bancarisées. Cette offre pourrait également être proposée par les institutions financières, alors que la crise et le contexte de taux bas exercent une forte pression à la baisse sur leur rentabilité. Ces nouveaux produits encourageraient le déploiement de nouvelles activités auxiliaires, comme le conseil ou la distribution de ces produits.
En parallèle, la conjoncture actuelle suscite une prise de conscience accrue sur certains enjeux et amplifie un mouvement de fond pour l’adoption d’un système de valeurs centré à la fois sur le respect de la vie privée des individus, la responsabilité sociétale des entreprises et la transparence. Le constat de la nécessaire numérisation de l’économie soulève inévitablement des problématiques de protection des données personnelles traitées, inquiétudes également au coeur des débats autour de l’application « StopCovid ». La finance durable est érigée comme la fondation du changement de paradigme économique et financier, ceci contrastant avec les actions timides engagées à ce jour par les entreprises. Les acteurs sont conscients que ces considérations doivent être prises en compte dans les efforts en cours et à venir pour restaurer la croissance économique. L’innovation technologique quelle qu’elle soit, du mouvement Web3 à la blockchain et aux actifs numériques, peut et doit être le moteur de ce compromis.
Constat #2 : La conjoncture actuelle inspire les acteurs et stimule l’innovation
43 % des répondants affirment travailler au déploiement de nouvelles solutions en réponse aux potentiels défis actuels liés à la situation économique et sanitaire et ses conséquences.
Une majorité de ces participants ont partagé leurs projets de services de finance décentralisée : alternatives de financement pour les entreprises fondées sur les actifs numériques (levées de fonds, financement participatif, plans de relance « digitaux », etc.), solutions de paiement en actifs numériques pour le commerce, épargne en actifs numériques, gestion patrimoniale, plateformes d’échange d’actifs numériques, marchés prédictifs, etc. Le développement de ces services se voit soutenu par des initiatives de nouvelles formations à distance sur les actifs numériques et la finance décentralisée, de nature à en faciliter la compréhension et l’utilisation.
Des solutions de dématérialisation sur la blockchain – dans une intention d’améliorer la traçabilité et la transparence – se dégagent également d’un certain nombre de réponses reçues. Celles-ci touchent des domaines très variés et proposent par exemple : la génération de preuves d’authenticité de tests sérologiques sur la blockchain, l’émission d’actes sous seing privé, l’organisation d’assemblées générales, ou encore le suivi des chaînes logistiques. Pour un répondant dont l’activité porte sur la certification “on-chain”, le contexte actuel l’encourage à perfectionner son offre.
La problématique de la protection de la vie privée, plus que jamais au coeur des préoccupations, pousse les acteurs à réfléchir à de nouvelles solutions plus performantes et plus sûres : c’est ainsi qu’un répondant travaille sur une application de déconfinement garantissant le respect de la vie privée de ses utilisateurs, et que d’autres ambitionnent de développer des solutions plus globales de préservation de la confidentialité des données numériques. Sur ce sujet, un acteur regrette de ne pouvoir travailler étroitement avec l’État s’agissant de la protection économique et numérique de la France.
A noter qu’un certain nombre des répondants qui travaillent au déploiement de solutions post-crise souhaitent garder leurs informations confidentielles à ce stade.
Conclusions et recommandations
La pandémie du COVID-19 a plongé la société et l’économie dans une crise internationale profonde, qui n’a pas épargné les acteurs des actifs numériques et de la blockchain. D’autant plus vulnérable qu’il est encore jeune, ce secteur doit être soutenu et accompagné pour lui permettre de résister. A court terme, il faut lui octroyer un accès sans entrave aux aides mises en place, en toute équité avec l’ensemble des acteurs économiques, notamment en mettant fin aux blocages structurels et historiques. A long terme, il s’agit de soutenir les efforts d’innovation, et de mettre l’expertise de l’industrie au service de l’économie post-crise.
A cette fin, l’ADAN émet les recommandations suivantes :
- De nombreux obstacles structurels à l’épanouissement de l’industrie crypto/blockchain doivent encore être résolus. D’une part, les travaux en cours concernant l’encadrement réglementaire des acteurs (la possible révision du régime des prestataires de services sur actifs numériques, leur assujettissement à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, l’adaptation des règles applicables aux security tokens, etc.) doivent permettre de lever les blocages et incertitudes existants, en suivant les principes essentiels de proportionnalité et de rationalité. D’autre part, les relations entre le secteur bancaire et financier traditionnel et les acteurs crypto/blockchain doivent définitivement s’apaiser grâce à une meilleure compréhension mutuelle de leurs risques réels, de leurs besoins et de leurs contraintes.
- Les solutions post-crise imaginées par les acteurs crypto/blockchain doivent être relayées et soutenues (financement, partenariats, etc.) pour permettre leur concrétisation. En sus de résoudre certains écueils de la crise, ces solutions permettraient également de familiariser leurs partenaires au monde crypto/blockchain : ainsi, ils pourraient apprendre à mieux connaître les acteurs de l’industrie des actifs numériques et comprendre davantage l’intérêt des actifs numériques dans leur grande diversité (cryptomonnaies, stablecoins, actifs numériques programmables, security tokens) et de la finance décentralisée, ainsi que leur fonctionnement (transactions, conservation, etc.) dans une optique de plus long terme de transformation de l’économie. Les solutions proposées par les membres de l’ADAN sont recensées dans un répertoire accessible au public
https://www.notion.so/adaneu/62381dd4b0ef465b88ea742a0e6f485f?v=c15c9b3d3bb6435f85ee656cd2daf904 . Au vu des investissements massifs déployés vers l’innovation blockchain aux États-Unis et en Chine, le développement de solutions compétitives en France nécessite un investissement soutenu sous la forme de grands projets applicatifs à échelle industrielle.
- Les actifs numériques doivent s’inscrire au centre de la transformation numérique des acteurs bancaires et financiers, dans la perspective d’une numérisation rapide de l’économie au sortir de la crise. Ceci suppose le développement des connaissance de ces acteurs concernant les actifs numériques et l’écosystème français des actifs numériques à tous leurs niveaux d’activité, une mise à niveau technique et une réorientation de l’offre des produits et services. Ces recommandations sont détaillées dans la note de l’ADAN parue précédemment
COVID19 et transformation de l’industrie financière, Association pour le développement des actifs numériques : https://www.notion.so/adaneu/COVID19-et-transformation-de-l-industrie-financi-re-Note-de-l-ADAN-93a22dbf71f94057a0276dee5bcfedfa .
L’ADAN est convaincue que la transformation profonde du système actuel ne sera possible qu’au moyen d’actions concertées entre les acteurs financiers traditionnels et les acteurs des actifs numériques. La coopération étroite entre ces industries et les expertises complémentaires qu’elles sauront mutuellement s’apporter donnera lieu à l’avènement d’une économie plus sûre, plus efficiente dans l’allocation de ses ressources et les services délivrés aux citoyens, et plus responsable face aux enjeux sociétaux de notre époque.
L’association se met à disposition de toute personne intéressée afin d’approfondir ces pistes de travaux.